Simone

En janvier, ça va faire trois ans que ma Simone s'est éteinte. Du haut de ses 5 pieds et peut-être 1 pouce, Simone a toujours été un exemple pour moi! Ma soeur et moi en parlions toujours comme de la future doyenne de l'humanité. Simone elle a quitté sa grande maison aux alentours de 80 ans pour se retrouver dans un appartement, petit, mais sympathique. Jusque là, ça allait, elle jouait aux cartes, elle avait des amies pour faire des casse-tête. Elle avait toute sa tête à elle. Puis elle est partie en foyer, dans une chambre plus petite mais encore là, ça allait, elle s'est fait de nouveaux amis, elle a continué à faire des casse-tête, elle a continué à garder sa tête et à être ma "Simone oh ma Simone" que j'aimais tant et à qui je voulais ressembler si un jour j'atteignais son âge vénérable. Puis, un jour, ma Simone a fait une mauvaise chute et s'est retrouvée dans une chambre minsucule avec une voisine de chambre un peu perdue et c'est là que tout s'est mis à dégringoler.

La dernière fois que je l'ai vue, elle m'a reconnue tout de suite, elle savait que je venais d'avoir un bébé (T. venait de naître), elle savait que je vivais à Québec, elle savait que j'étais sa petite fille, elle se souvenait même de mon mari comme elle appelait mon G. Tout le monde me disait que j'allais faire un saut, que je la trouverais perdue et incroyablement grise. Mais non, je l'ai vue comme elle avait toujours été pour moi, MA grand-mère adorée!

Au bout de trente minutes, elle m'a demandé de l'aider avec ses mots-croisés parce qu'elle était bloquée dans un qu'elle ne comprenait pas. En regardant le papier, j'ai sursauté. Dans toutes les cases, elle avait fait de petits dessins, aucune lettre, que des gribouillis,des flèches et d'autres formes... Ensuite, elle s'est mise à me parler du temps où elle m'avait enseigné et j'ai pris cela pour un souvenir mélangé... Elle y revenait toujours, elle s'est mise à me vouvoyer et à répéter sans cesse la même histoire... Je l'ai vue, j'ai vu dans ses yeux à quel point elle semblait perdue dans un autre monde. Mélangée dans des souvenirs, dans des histoires inventées, dans le passé, dans le présent... Et j'ai quitté sa chambre en pleurant. Et je ne l'ai jamais revue, elle s'en est allée quelques semaines plus tard, à 95 ans... Et j'ai pleuré.

Quand je pense à Simone, j'en reviens toujours à ma peur de la mort. J'ai peur de mourir, très peur. Mais j'ai aussi peur de vieillir, de voir mes fils sans les reconnaître, de lire la pitié dans leurs yeux. Quand je pense à ma Simone, mes nuits sont souvent blanches...